Dominique Grimaud & Véronique Vilhet – Broken Saxophones

Dominique explains his project:
“In Camizole, between 1974 and 1978, I had frequently experimented with an alto saxophone, whose sounds were reworked and distorted by the modules of an AKS Synthi. In these Broken Saxophones, I wanted to revive the invention of Adolphe Sax and these practices”.
The music also features the deep sounds of the bass clarinet, in communion and harmony with the pounding, pulsating and rhythmic sounds of the drums and percussion. The duo pushes the complicity with David Fenech a little further and the album allows the return, for the time of a track, of Jacky Dupéty, initiator in 1970 of the group Camizole.

 

Hier, dans Camizole, il modifiait le son d’un saxophone alto avec l’aide d’un synthi AKS. Aujourd’hui, Dominique Grimaud reprend l’instrument – et une clarinette basse, avec – le temps d’enregistrer quelques conversations avec Véronique Vilhet (batterie et percussions), auxquelles prennent part ici Jacky Dupéty (saxophones) et là David Fenech (guitare).
Si l’on imagine que ces Broken Saxophones datent un peu, le souffle qui les anime est revigorant : pleurage épris de redite (R.B. regarde les étoiles), discrète danse de la pluie (Cha-O-Ha), chorale miniature (Un arc en ciel dans le jardin), impression d’Afrique (Hum ! Hum ! Bunk ! Bunk !), ritournelle sortie de son axe (Rosette et Pierrot)… Derrière Îles et J’aime tout ce que fait le ciel à n’importe quel momentDominique Grimaud et Véronique Vilhet composent là un répertoire de poésie aussi dense que légère.

Guillaume Belhomme (Le son du grisli)

 

This is the fourth collaboration I know of from Dominique Grimaud (ex Camizole and Video Aventures) and percussionist Veronique Vilhet. With each of these releases Dominique seems to be aiming for quite different territory. Here, for instance, as the title suggests, saxophones are the key. Whether they are broken or not, I don’t know. They all seem to sound okay. So, I think the broken aspect is how the saxophones are recorded and processed, as there’s obviously some trickery going on. In some ways the spirit of late 1970s Camizole is alive again in these recordings, especially when Dominique also adds other winds to the brew, plus some synthesizer. With sixteen tracks, and all of them quite short, there’s lots of variety in the moods explored, although it’s generally all quite crazed and eccentric.

Alan Freeman (Audion 74) June 2023

 

Persévérance, c’est le premier mot qui vient à l’esprit à la découverte du vinyle Broken Saxophones. Et ce pour maintes raisons. Multi-instrumentiste autodidacte, Dominique Grimaud trace tranquillement son chemin en continuant d’expérimenter, depuis ses premiers souffles au saxophone au sein de Camizole à l’orée des années 1970. On remarque la présence de Jacky Dupéty, le fondateur de Camizole, sur Broken Saxophones. Alors même qu’il participait à la naissance de Urban Sax de Gilbert Artman, Dominique Grimaud explorait à la même époque les possibilités des synthétiseurs, notamment du Synthi AKS. Ce fut l’une des pistes, parmi bien d’autres, du duo Vidéo-Aventures. En solo ensuite, Dominique Grimaud a pratiqué et pratique toujours, les synthétiseurs, diverses instruments à cordes, guitares, banjo… Véronique Vilhet a connu la free music de Johnny B. Crotte. Un double 45 tours a été édité par InPolySons en 2014, contenant du matériel des années 1977/78. Véronique Vilhet a aussi participé à l’épopée de la troupe Royal de Luxe.
Depuis une dizaine d’années, Dominique Grimaud et Véronique Vilhet forment un duo qui n’est pas en reste en matière de domaines d’exploration, que ce soit dans un univers intimiste aux percussions et synthés ou dans la chanson. Broken Saxophones est leur quatrième album. Il est publié par ADN Records, autrement connu pour être la branche italienne de Recommended Records. Sur ADN était sorti en 1990 l’album de Vidéo-Aventures Moonbeam Movies, un curieux objet : deux cassettes dans un boîtier de VHS pour une musique collage cinématique. Rappelons au passage que Romanciel de La STPO est récemment sorti sur ADN Records.
Cette somme d’aventures force le respect. Pour autant, le duo ne donne pas dans la surenchère. Bien au contraire. Leur axe de travail est minimal en matière de rythmes, d’instruments à vents, de synthétiseurs et d’invités. Outre Jacky Dupéty aux saxophones alto et bariton sur « The Four Horses With Pink Wheels », intervient David Fenech à la guitare sur « Alissa Song ».
Leur ligne de conduite est très simple, ce sont les boucles. Leurs recettes nécessitent peu d’ingrédients, mais ces quelques éléments apportent à chaque fois des couleurs différentes. On songe ici à Moondog, là à du dijeridoo (sans qu’il y en ait de joué). Il y a aussi des sonorités arabisantes, des évocations un peu médiévales. Aucun artifice, on tombe sous le charme, naturellement.

Éric Deshayes (NéoSphères)

 

Was bleibt mir anderes, als zu lernen und zu staunen? Bevor DOMINIQUE GRIMAUD (*1950) in den 80ern mit Monique Alba als Vidéo-Aventures bezauberte (und zu BA 4 das Feature über Urban Sax beisteuerte), war er bereits bei Camizole gewesen. In den 90ern mit Rick Brown & Sue Garner als Beach Cobbler bluesig zugange, blieb er sich treu als Synthie/Sampling-Wizard und Verkörperung des Underground musical en France. Seit 2012 hat er in der Drummerin VÉRONIQUE VILHET wieder eine Spielgefährtin und fand mit Broken Saxophones (AD9 009, LP) zu Artisti Del 900. Per Du mit Mister Chance und Mr. Moon, mit ‘Hum ! Hum ! Bunk ! Bunk !’-Spirit und genau dem richtigen französisch-sürrealen Spleen, als ‘Rosette et Pierrot’ die Zügel von ‘The Four Horses with Pink Wheels’ zu führen. Von 16 Tracks reißt nur ganz zuletzt ‘La Felicità Delle Farfalle’ die 3 Min.-Grenze. Die beiden, Vilhet mit noch Cymbal, Maracas, Bells, Karkabas, Voice, Grimaud mit Alto & Baritone Saxophone, Bass Clarinet, Flute, Synth, Brass, dehnen einfach den Raum in ostinater Repetition und in Dauerwellen und schnorren sich die Zeit für skurrile Laute, gepauktes Tamtam, zittrige Verzerrungen, quäkiges Tröten, rasseliges Schütteln. Urig und exotisch, ‘primitiv’ und närrisch, tanzen sie über die tiefgelegenen Plateaus der Art Brut, als Träumer vergeblicher Träume, verloren, mit Schlagseite zum rechten Flügel von Hieronymus Boschs „Garten der Lüste“, aber ohne Reue – die Musik verlangt es.

Rigobert Dittmann (Bad Alchemy 119)

 

Ces deux albums sortis à quelques semaines d’intervalle sur deux labels différents (l’un français, l’autre italien) permettent de saisir l’évolution d’un des grands noms de la scène musicale marginale (en bon français, ‘underground’) hexagonale. Par ‘grand nom’, nous ne cherchons pas à donner une image ‘vedettariale’ qui serait en totale contradiction avec l’esprit militant qui a animé cette scène enracinée dans la contre-culture post-soixanthuitarde. Mais là où ces primes années d’ agitation musicale ont été pour certains un passage obligé mais seulement un passage, ou un tremplin vers une ‘véritable carrière artistique’, voire un simple défouloir post-ado, elles ont été pour d’autres une vocation, un sacerdoce, un mode de vie, de pensée, une façon d’être et d’agir. Le musicien autodidacte Dominique GRIMAUD est assurément de cette trempe-là. De marginal qu’il était dans les années 1970, il est resté ‘jusqu’auboutiste’ à nos jours, soit sur un parcours d’une cinquantaine d’années, n’ayant rien sacrifié de son engagement et n’ayant jamais cédé aux sirènes du mercantilisme arty. Sa ‘production’ musicale, si elle n’est pas pour toutes les oreilles, n’en mérite pas moins un coup d’œil (à moins que ce ne soit le contraire).
D’une décennie à l’autre, Dominique GRIMAUD a été des aventures musicales françaises les plus obscures et expérimentales: CAMIZOLE dans les années 1970, VIDÉO-AVENTURES dans les années 1980, PEACH COBBLER dans les années 1990, divers enregistrements solistes dans les années 1990-2000 (Slide, RagTime, les Quatre Directions…) et son duo avec Véronique VILHET (JOHNNY BE CROTTE, ROYAL DE LUXE) dans les années 2010-2020.
Erahtic et Broken Saxophones ont été enregistrés à deux époques chronologiquement éloignées, le premier datant de ses premières années d’activisme musical, et le second étant nettement plus récent (on ne dira pas ‘ses dernières années’, au moins par superstition, et parce qu’on croit encore aux ‘pages blanches’ qu’il reste à écrire…). Mais à leur écoute, on jurerait que le temps n’est quasiment pas passé, ou bien n’a pas suivi un déroulement strictement horizontal et a plutôt dessiné une boucle, elle-même pas si ronde que ça.
Les déformations sonores à l’œuvre dans Erahtic ont été poursuivies les années suivantes par Dominique GRIMAUD, cette fois avec les modules du Synthi AKS, et non plus à partir d’une cithare, mais à partir de sons de saxophone alto (Gilbert ARTMAN n’était pas loin, et URBAN SAX était en gestation…), et s’inscrivaient dans la continuité des pratiques d’Adolphe SAX.
Or, c’est précisément cette démarche que Dominique GRIMAUD a réactivée pour la création de son nouvel album avec Véronique VILHETBroken Saxophones, enregistré entre 2018 et 2020. Celui-ci fait suite aux trois albums précédents conçus par le duo, AAHH !! (Bam Balam, 2015), Îles (In-Poly-Sons, 2016) et J’aime tout ce que fait le ciel à n’importe quel moment (In-Poly-Sons, 2020). Ce dernier était cependant un disque de chansons « bricolées », alors que Broken Saxophones est purement instrumental, à l’instar des deux premiers albums.
Une fois de plus, le titre du disque reflète de quoi il retourne, mais sans détour ni ‘reverse ‘: Dominique GRIMAUD joue bel et bien sur des saxophones alto et baryton cassés, et même sur une flûte tout aussi cassée, et se commet également à la clarinette basse, à la sopraniflûte, ainsi qu’à l’Octaver, au modulateur à anneau et au Moog Lowpass Filter. Le choix de jouer sur des instruments partiellement éméchés n’est évidemment pas anodin, il témoigne de l’affection que porte GRIMAUD à ses objets qui ont une histoire, un passé, et de la valeur qui leur attribue en termes purement sonores. Véronique VILHET dialogue avec ces vents froissés avec une batterie et une palanquée de percussions, toms, cymbales, maracas, karkabous, cloches, etc., générant des rythmes claudicants, chavirants, à la martialité titubante…
Chacune des seize pistes de ce LP relève de combinaisons diverses entre vents et peaux, souffles et frappes, parfois en couches superposées. Si l’attirail requis paraît dense, nulle boursouflure n’est à craindre, l’habillage relevant de cette même volonté de bricolage minimal mais savant qui anime GRIMAUD depuis ses débuts. Il en résulte des saynètes sonores (entre trente secondes et trois minutes) aux humeurs diversement orientées mais d’où émane une savoureuse fraîcheur poétique. Ça et là émergent des images de pow-wow déraillés, de tribalismes forestiers, de cérémonies désaxées, de déambulations caravanières efflanquées… Les titres choisis pour ces piécettes achèvent de nous projeter dans un monde à part en dessous ou a côté au-dessus, dans lequel des créatures zodiacales et autres aliens non répertoriés taillent la bavette avec des oubliés de l’histoire ou des voisins non reconnus…
Le duo VILHET/GRIMAUD a de plus ouvert ses micros pour faire entendre la guitare de David FENECH (également préposé au prémastering de l’album) sur un morceau et les saxophones alto et baryton (non cassés, ceux-là) de Jacky DUPÉTY – l’initiateur de CAMIZOLE en personne – sur un autre.
Bien qu’ils ne relèvent pas de la même orientation musicale, Erahtic et Broken Saxophones sont deux chapitres d’une même histoire, éloignés dans le temps mais singulièrement proches dans leurs démarches et leurs positions tant artistiques que politiques (au sens large du terme), et pour cause ! À la cithare auto-construite comme aux saxophones brisés, Dominique GRIMAUD trace des lignes aussi fermes dans leurs intentions que déliées dans leurs projections, avec cette étincelle constante qui, assurément, n’a pas envie de s’éteindre. L’usure du temps n’est pas pour demain…

Stéphane Fougère (Rythmes Croisés) 29/06/2023

 

 

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